Avec Sineus (M.) | Biau, Véronique

La pratique des concours d’architecture en Europe (focus sur la Suisse, les Pays-Bas, la Pologne et l’Allemagne)

MIQCP (Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques), Paris, 2017.

Quelle pratique a-t-on du concours d’architecture chez nos voisins européens ? La pratique du concours d’architecture en France, ancienne, très réglementée - obligatoire au-dessus des seuils européens dans le cadre de la loi MOP, obligatoirement indemnisé et fondé sur une mission complète -, nous donne une représentation très spécifique du concours d’architecture et nous y enferme peut-être aussi parfois. Il est rafraîchissant et d’une certaine manière stimulant d’aller voir ailleurs en Europe comment les concours d’architecture se pratiquent et c’est l’objet de l’enquête que nous avons menée sur quatre pays européens choisis pour la diversité de leur cadre réglementaire, de l’organisation de la maîtrise d’ouvrage et du statut des architectes : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suisse.

Dans un premier panorama réalisé par dépouillement des avis d’appels publics à concurrence dans la base TED-Europa (qui est la version numérique du Journal Officiel de l’Union Européenne) et de la base SIMPA.ch pour la Suisse, la pratique du concours apparaît dans toute sa disparité : lissés sur les cinq années 2011 à 2015 incluses pour annuler les effets de contexte, les chiffres sont parlants. Ils mettent notamment en évidence la spécificité française du recours au concours : 3064 concours au cours de cette période, contre 868 et 394 respectivement en Allemagne et en Suisse, les deux pays pratiquant le plus de concours en Europe après la France. La Pologne fait partie d’un groupe intermédiaire, avec l’Italie, l’Autriche et le Danemark, pays dans lesquels une centaine de concours ont eu lieu sur la période de 5 ans. Ces statistiques confirment le très faible recours au concours dans l’ensemble des autres pays d’Europe : moins de 10 concours publics par an. On retrouve le profil qui était apparu dans l’étude que nous avions menée en 1998 avec 308 concours en France pour l’année 1996, 89 en Allemagne (nous n’avions pas de données pour la Suisse), 47 en Italie qui a depuis lors une pratique plus réduite du concours, et des valeurs comparables de l’ordre de 10-15 concours par pays et par an au Royaume-Uni, en Autriche, en Espagne … Réglementairement, les situations nationales sont diverses : l’Allemagne est depuis 2008 le seul pays avec la France à avoir instauré l’obligation du concours au-dessus des seuils pour les maîtres d’ouvrage publics. Dans les autres pays, où les marchés publics de maîtrise d’œuvre sont plus ou moins codifiés, le concours est considéré comme une procédure destinée avant tout à produire de la qualité. Le concours se situe sur le registre indicatif de la « bonne pratique » et s’adresse assez indifféremment aux maîtres d’ouvrage publics et privés soucieux de Baukultur. Leurs motivations à organiser un concours sont communes : disposer d’un vaste ensemble de réflexions et propositions, ouvrir la commande aux jeunes et petites structures, instaurer du débat public , s’assurer une certaine légitimité dans la décision de par la compétence rassemblée dans le jury, la qualité de son travail, la validation architecturale de la procédure et/ou des choix effectués. En Allemagne comme en Suisse, on dénombre environ un tiers des concours relevant de la maîtrise d’ouvrage privée. L’organisation de concours non obligatoires éclaire sur les enjeux particuliers, les situations d’exemplarité que rencontrent les maîtres d’ouvrage, bien au-delà de la question des seuils. Le cas de la Pologne, où le coût de la construction et le revenu horaire moyen des architectes sont inférieurs aux moyennes européennes et situent les seuils très haut par rapport à la production bâtie, interroge d’ailleurs la définition de ces seuils. En Suisse et en Pologne, ce sont des organisations professionnelles non ordinales qui se sont faites les instigatrices du concours : ce sont elles qui ont rédigé les règlements applicables aux concours, précisant le bon déroulement de chacune des étapes, elles qui labellisent les maîtres d’ouvrage qui y souscrivent, qui envoient des représentants dans les jurys, indiquent les modes de calcul des rémunérations et participent à la diffusion des résultats. Aux Pays-Bas, comme sans doute dans de nombreux pays où le concours est peu pratiqué, c’est avant tout l’interconnaissance qui est recherchée ; le maître d’ouvrage cherche le dispositif qui lui permettra d’échanger le plus régulièrement possible avec le concepteur au cours du projet. L’anonymat apparaît alors comme un frein au développement du concours. Un autre frein relève de la compétence du maître d’ouvrage à gérer un processus de concours. C’est un enjeu qui motive beaucoup d’expérimentations de la part des organisations professionnelles : création de commissions voire d’observatoires des concours, mise en place de portails numériques et de logiciels d’assistance à la conduite du projet de concours avec proposition de documents-types, suivi et conseil aux maîtres d’ouvrage, ateliers de veille et de retour d’expérience, etc. Des réseaux se constituent, se développent à l’international et la France n’y est que peu présente … Dans leur déroulement, les concours cristallisent les débats sur les mêmes points en France que dans les pays analysés : quelles exigences donner en phase de qualification, en termes de références construites, en termes de chiffre d’affaires de l’agence ; comment fixer les prestations raisonnablement et contenir les surenchères auxquelles se livreraient les candidats ; comment assurer l’indépendance, l’engagement et la compétence des jurés ; comment élaborer les critères de sélection dans leur diversité et leur hiérarchie ; quelle part donner aux riverains et citadins dans la délibération ; comment et à quel niveau rémunérer les participants, … Mais la plus grande des différences vient de la large pratique des concours ouverts à un ou plusieurs degrés, avec plusieurs centaines de candidats en première phase, souvent une trentaine en seconde phase, pratique qui n’est plus dans notre horizon habituel depuis une trentaine d’années et que l’Allemagne a abandonnée dans les années 2000. On a alors un premier degré dans lequel chaque concepteur intéressé peut fournir une prestation légère de type esquisse ; puis, avec un jury constant tout au long de la procédure, une première sélection et un approfondissement au niveau de l’avant-projet sommaire. Sont alors désignés quelques lauréats (entre 3 et 5 généralement) auxquels seront attribués des primes ou, pour le premier, une avance sur les honoraires à percevoir sur le contrat à venir. Étonnamment pour nous, et la remarque vaut dans des pays où les architectes sont puissants comme dans ceux où ils le sont moins, ce travail à perte n’est que peu critiqué par les praticiens. Faut-il voir dans le concours, pour certains architectes, une forme de Recherche & Développement pour les agences, de prétexte à une réflexion un peu dégagée des contingences habituelles ou encore de moyen d’accès au débat, à la reconnaissance et à la commande publique pour les plus jeunes ou les plus petites des agences ?

Voir en ligne : Lien de l’article sur HAL