La coordination et la transmission

Etude comparative de dictionnaires de l’urbanisme

DEA "Le projet architectural et urbain", Ecole nationale supérieure de Paris-Belleville, Paris, 1997.

Ce travail est basé sur une hypothèse de travail, inspirée de travaux de socioterminologie, abordant l´urbanisme comme un cadre d´activité regroupant des groupes de personnes issues de formations et de disciplines diverses et regroupées autour d´une action : faire la ville. D´un côté, la circulation des informations et des discours engendrent un langage spécialisé centré sur un travail ayant trait à l´urbain. De l´autre, la spécificité des cadres dont émanent les locuteurs crée des ensembles terminologiques (lexique particulier ou acceptions reconnues) distincts et la vision de l´unité d´un langage spécialisé disparait au profit de celle d´un éclatement. Les dictionnaires, dont le cadre de référence est identifiable, nous permettent de confronter ces deux visions de notre langage.

Par dictionnaire, nous entendons des ouvrages contenant des entrées classées et suivies, au moins en partie, d´articles définitionnels. Ils sont ici classés selon le destinateur, le cadre d´émission. Des ouvrages émanant de deux catégories de destinateurs sont étudiés : les associations internationales et les institutions universitaires. Les ouvrages relevant des deux autres catégories isolées, l´administration et les éditeurs privés, sont répertoriés en annexe.
L´analyse est effectuée à deux niveaux. La première lecture est effectuée sur un corpus de 7 dictionnaires parus entre 1946 et et 1987 dans des pays et à des moments différents. Elle a pour objectif de dégager les contraintes ou les constantes du genre dictionnaire de l´urbanisme (1ère partie). La seconde lecture est axée sur un corpus plus restreint (3 ouvrages) parus en France entre 1988 et 1993. A partir des conclusions issues du premier travail, elle vise à établir des corrélations entre les méthodes lexicographiques adoptées par les auteurs et leur démarche ou la notion d´urbanisme qu´ils revendiquent (2ème et 3ème parties).

Des cadres associatifs internationaux émergent des dictionnaires destinés à coordonner des locuteurs. Ils sont élaborés à partir des principes lexicographiques de la normalisation. Les dictionnaires des institutions universitaires ont pour finalité, non la coordination, mais la transmission d´un savoir. La construction de leur objet est dépendante de la notion d´urbanisme défendue dans le pays. L´enjeu didactique s´appuye sur des références culturelles. La construction de l´objet est différente dans ces deux cadres : dans le premier, il s´agit de consolider par le dictionnaire une pratique déjà cautionnée par l´association ; dans le second, le but est d´imposer une notion de l´urbanisme, en espérant qu´elle sera suivie par les futurs professionnels. Les deux visions que nous avons proposé du langage de l´urbanisme -unifié par un travail ou éclaté parallèlement aux unités qui le composent- apparaissent comme le reflet de deux situations langagières spécifiques, la coordination entre des locuteurs et la transmission d´un savoir, dans lesquelles les dictionnaires s´inscrivent.
Le cas particulier des définitions de noms d´espaces urbains rédigées par Françoise Choay dans Le Dictionnaire de l´Urbanisme et de l´Aménagement et par David Mangin et Philippe Panerai dans le lexique du Temps de la ville (1988) est emblématique du genre dictionnaire. La première réfère, la plupart du temps, les définitions (donc les mots) à des discours, elle sélectionne des sens qui correspondent à sa démarche de chercheuse spécialisée dans l´histoire des théories de l´urbanisme et tente de proscrire ce qu´elle considère comme des „abus de langage“. Les seconds proposent plutôt des descriptions d´espaces de référence, sélectionnés pour leur valeur culturelle ; le dictionnaire est conçu comme un ensemble de dispositifs, classé selon l´ordre des mots. Par delà ces différences fondamentales, les deux ouvrages ont en commun de s´adresser davantage à des étudiants ou à des praticiens naïfs -en ce qui concerne leur langage- qu´à des théoriciens.

Des unités de langages de l´urbanisme apparaissent dans les dictionnaires destinés à transmettre un savoir. Ceux-ci ont un statut médian entre la connaissance du théoricien et celle du praticien, ils permettent d´isoler des idées formées dans le cadre d´une enseignement et génératrices de méthodes de travail. Les dictionnaires destinés à coordonner des acteurs n´ont d´autre intérêt que la mission qu´ils remplissent, auprès de traducteurs par exemple, ils ne laissent rien transparaitre de la complexité de ces langages spécialisés que les dictionnaires de transmission révèle. Pour autant, l´hypothèse d´un cadre d´activité urbanistique nous semble opératoire pour envisager ces langages par delà les limites les limites disciplinaires, dans la mesure où ceux-ci sont mouvants et où le monde du travail est une cible importante de l´ensemble des ouvrages ici consultés, comme probablement de nombreux discours urbanistiques.