L’histoire de l’urbanisme de Pierre Lavedan de 1919 à 1955

Entre savoir et action

Thèse de doctorat en architecture, Université de Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis, Paris, 2005.

Ce travail est parti d’une interrogation sur l’articulation entre les aspects théoriques et doctrinaux des discours sur la ville. Sans prétendre que toutes les œuvres de connaissance sur la ville ont l’action en perspective, il n’est pas rare, en urbanisme comme en architecture, de voir un projet cognitif associé à une position doctrinale. Or la question se pose de savoir à quel niveau du discours cette rencontre a lieu. Au delà des prises de positions explicites, il se peut qu’à travers la construction de l’objet de recherche, le choix des références ou des catégories choisies, le discours théorique soit profondément mâtiné de questions qui ne sont pas d’ordre scientifique.

Le volonté de prendre en compte plusieurs aspects de la construction d’un discours sur la ville (forme du texte, images, situation de communication, contexte) a conduit à l’étude d’une œuvre particulière. Ce travail se penche sur une œuvre entamée dans l’entre-deux-guerres, les premières Histoires de l’urbanisme de Pierre Lavedan (1885-1982). Antiquité, Moyen âge (1926), Qu’est – ce –que l’urbanisme ? (1926), Géographie des villes (1936), Renaissance et temps modernes (1941), la ville contemporaine (1952) ont constitué, notamment dans les années 1940 et 1950, une œuvre de référence pour certains professionnels de l’aménagement et pour des historiens et des géographes. Aux yeux de son auteur, historien d’art de formation, cette œuvre a l’action pour finalité. Il partage avec la première génération des architectes urbanistes l’idée que le projet d’urbanisme doit être fondé sur un diagnostic urbain, notamment sur une connaissance du passé de la ville.

L’hypothèse de ce travail est que Pierre Lavedan, figure intermédiaire de l’urbanisme, produit des textes qui reflètent les positions sociales qu’il occupe successivement, d’abord dans le champ de l’histoire de l’art, puis, après la seconde guerre mondiale, dans celui d’un urbanisme qui s’est rapproché du pouvoir.

La première partie de la thèse porte sur les positions aussi bien sociales qu’intellectuelles que Pierre Lavedan a occupées et défendues ailleurs que dans les Histoires. On voit que leur fabrication s’ancre dans un parcours universitaire. Elle s’appuie d’une part sur un désir d’ouverture de l’histoire de l’art vers des objets inscrits dans le social, d’autre part sur celui de l’institution universitaire d’impliquer les enseignants dans des travaux de recherche sur le patrimoine local. Poursuivant les traditions d’imbrication des rôles de l’historien d’art et du critique d’une part, de connivence entre archéologues et architectes d’autre part, Pierre Lavedan entame dès ses premiers enseignements à la Sorbonne une activité de critique des projets d’architecture et d’urbanisme. Il s’engage en faveur de la profession d’urbaniste et de la doctrine de la Société française des urbanistes. Dans les années 1940, à travers le combat pour la conservation de la ville historique, l’ouverture de l’urbanisme aux universitaires sous la tutelle de l’Etat ainsi que la direction de l’Institut d’urbanisme de Paris, Pierre Lavedan est au cœur d’une logique qui lie savoir et action et qui défend l’implication de l’Etat comme la pluridisciplinarité de l’urbanisme.

La deuxième partie porte sur l’œuvre proprement dite. L’analyse du premier tome des Histoires montre à quel point leur construction est redevable de l’architecture : alors que l’objet de recherche est pensé comme une extension du bâtiment, celui-ci est exposé dans un dispositif appartenant au genre des histoires de l’architecture. Cela n’est pas sans occasionner des décalages avec les visions de la ville proposées aussi bien en Allemagne par plusieurs auteurs qui se sont intéressés au plan de la ville dans les années qui précèdent la première guerre mondiale qu’en France dans les écrits de Marcel Poëte. Le projet cognitif explicite des Histoires qui consiste à apporter un objet nouveau à l’histoire de l’art disparaît au fur et à mesure de la publication des nouveaux tomes de la série. Le locuteur historien d’art, qui défendait en même temps que la particularité de son regard l’idée d’un urbanisme composé de différentes disciplines, est remplacé par un locuteur médiateur de l’urbanisme, à même, en tant que représentant de l’Etat, d’évoquer tous ses aspects.

La troisième partie de la thèse fait l’analyse de la réception des Histoires. On voit qu’elles ont été estimées de manières diverses selon les époques : c’est surtout dans les années 1940-1950 qu’elles apparaissent comme un manuel canonique. On voit des lignes de césure : leur expression la plus exemplaire concerne les deux premiers ouvrages, dont la réception s’est trouvée mêlée durant les années 1930 à un débat sur les places respectives de l’homme ou de la nature dans la formation des villes, débat servant d’argument à l’implication de l’histoire ou de la géographie dans l’urbanisme. Toutes disciplines confondues, un clivage apparaît entre d’une part les estimations portant sur la valeur d’utilité de ce travail et montrant l’intérêt de cette récolte de cas particuliers pour le projet contemporain ou pour l’histoire, et d’autre part des estimations portant sur sa valeur de vérité, plus septiques. Ces dernières, qui dominent dans les années 1960 à 1980 au moment où la morphologie urbaine se développe en France, critiquent par exemple la restriction de la ville à son plan ou celle du plan à son système viaire.

L’hypothèse du reflet des positions sociales de l’auteur est vérifiée par l’étude empirique : Pierre Lavedan délimite différemment les savoirs de l’urbanisme, ouvre à la sociologie une vision initialement centrée sur la forme de la ville lorsqu’il accède à la direction de l’IUP et que l’Etat se préoccupe de logement et d’aménagement du territoire. Malgré ce déplacement des frontières de l’urbanisme, sa position intermédiaire entre le savoir et l’action se maintient. On parlera plus volontiers d’une position de médiateur : en tant qu’historien - médiateur, Pierre Lavedan produit des livres d’histoires et des manuels rassemblant des représentations de la ville ancienne qui ont alimenté les musées imaginaires et les paradigmes successifs de l’urbanisme.

Ce travail invite à se pencher sur la médiation de l’urbanisme et à sortir de la critique de l’articulation entre le savoir et l’action d’une part, de l’orientation de l’histoire d’autre part, pour penser l’historien – médiateur comme un acteur de l’urbanisme.